L'urgence d'agir pour la santé de nos enfants : Le cri des infirmières puéricultrices et infirmiers puériculteurs

TRIBUNE - Paris, le 9 février 2024

Nous, infirmières puéricultrices et infirmiers puériculteurs, professionnels de la santé infantile, sommes les premiers témoins des difficultés que traversent la pédiatrie et la santé de l’Enfant en France. Notre rôle essentiel, mais souvent sous-estimé, nous place face à des réalités alarmantes qui ne peuvent plus être ignorées.

Après des semaines d’attente, la Prévention et l’Enfance ont, enfin, un portage politique. Frédéric Valletoux, Ministre délégué chargé de la santé et de la prévention, et Sarah El Haïry, Ministre déléguée chargée de l’enfance, de la jeunesse et des familles viennent d’être nommés. Ils portent une responsabilité.

Nous élevons aujourd’hui la voix pour que nos inquiétudes et nos propositions soient entendues et prises en compte, et que la santé des enfants et des familles devienne une réelle priorité.

Les Assises de la pédiatrie et de la santé de l'Enfant ont été lancées solennellement fin 2022 par François Braun, alors Ministre de la Santé et de la Prévention. Elles ont permis de mettre en lumière plusieurs problématiques majeures : Une hausse de la mortalité périnatale, contrairement à nos voisins européens, nous place aujourd’hui en queue de peloton des pays européens sur ce sujet. Il n’existe toujours pas de registre des naissances à ce jour, synthétisant l’ensemble des données disponibles, demandé de longue date notamment par la Société Française de Néonatalogie. Les ratios de professionnels spécialisés auprès des enfants sont faibles voire inexistants la plupart du temps.

  • Des séparations de l’enfant et de ses parents y compris en néonatalogie, bien souvent injustifiées. Dans d’autres cas, un maintien à tout prix du lien, même dans des situations de violence… Des situations inacceptables qui démontrent la nécessité d’une formation et d’un accompagnement adapté.

  • Des situations de protection de l’enfance qui explosent, avec non seulement un coût humain mais aussi un coût économique de plus de 9 milliards d’euros chaque année, comme le rappelait encore récemment la CIIVISE.

  • Un parcours d’accompagnement des familles, de la conception jusqu’à l’adolescence de l’enfant, opaque ; des professionnels spécialisés peu nombreux (3 semaines de délai moyen pour un rendez-vous chez le pédiatre), des services de prévention méconnus amenant rapidement une aggravation des situations.

  • La santé mentale des jeunes qui se dégrade avec, en face, une pédopsychiatrie laissée à l’abandon. Les passages aux urgences pour gestes et idées suicidaires, troubles de l’humeur (épisodes dépressifs notamment) et troubles anxieux chez les 11-17 ans ne cessent d’augmenter, comme l’avait déjà identifié Santé Publique France.

  • Malgré le manque de pédiatres, de médecins généralistes, de ressources médicales… nous ne formons pas plus de professionnels spécialisés. L’IGAS le pointait déjà en 2021, nous faisons face au contraire à un risque de disparition des compétences spécialisées. 

Aussi, l’écart entre les discussions, les annonces et les actions concrètes reste abyssal.

La crise actuelle dans notre domaine est le résultat de nombreuses lacunes, dont certaines sont profondément enracinées dans notre système de formation et de santé.

Il est essentiel de souligner que le programme de formation des infirmières puéricultrices et infirmiers puériculteurs diplômés d'État n'a pas été mis à jour depuis 1983. Les champs de compétences n’ont pas évolué, la réglementation de l’exercice de la spécialité non plus.

Cette stagnation reflète un décalage flagrant avec les besoins actuels de la santé infantile. Des travaux de refonte ont été entamés il y a plus de dix ans sans aboutir, laissant les professionnels, les formateurs et les étudiants dans une incertitude pédagogique et pratique préjudiciable. 

Cette situation est inacceptable et nécessite des actions immédiates.

Face à cela, nous, infirmières puéricultrices et infirmiers puériculteurs, demandons urgemment :

  • D’investir dans la formation et le recrutement des professionnels de santé spécialisés auprès de l’enfant, notamment les infirmières puéricultrices et infirmiers puériculteurs. La pénurie de professionnels spécialisés est une réalité qui s'aggrave. Cette situation conduit à une surcharge de travail insoutenable et à un risque accru d'erreurs dans les soins et les accompagnements.

  • D’améliorer les conditions de travail dans les services d'urgences pédiatriques : ces services sont au bord de l'effondrement, avec des équipes surchargées et des infrastructures insuffisantes. Des investissements urgents sont nécessaires pour garantir des soins de qualité et maintenir les professionnels dans les services par une reconnaissance réelle et concrète de leur travail quotidien.

  • De mettre en œuvre une politique de prévention efficace et réaliste pour nos enfants, passant notamment par la valorisation aujourd’hui inexistante des actes de prévention en PMI. Il ne s’agit pas d’une mesure accessoire mais d’un réel renforcement du service public pour assurer une équité des chances sur le territoire national. Elle était déjà préconisée par la députée Michèle Peyron dans son rapport de 2019. 

Les enjeux de santé infantile ne peuvent être relégués au second plan. Les décisions prises aujourd'hui auront un impact profond sur la vie de millions d'enfants et sur l'avenir de notre société. Nous demandons aux décideurs politiques, aux institutions de santé et à la société civile de se mobiliser pour relever ces défis.

Nous ne demandons pas seulement une reconnaissance de nos difficultés, mais des actions concrètes, immédiates et durables. Il en va de la santé et du bien-être de nos enfants, de nos familles, et de notre société toute entière.

Les Assises de la pédiatrie et de la santé de l’enfant ont ouvert la porte à de nombreux espoirs. Des propositions concrètes et consensuelles ont pu être mises en avant. La formation des professionnels a été identifiée comme un levier majeur. Le temps est désormais à l’action.

 

Ensemble, engageons-nous pour une pédiatrie résiliente, dynamique et tournée vers l'avenir. 

Aujourd’hui, construisons demain !


Signataires

Peggy Alonso, infirmière puéricultrice, présidente de l’Association nationale des infirmièr(e)s puéricultrices(teurs) diplômé(e)s et des étudiants (ANPDE)
Charles Eury, infirmier puériculteur, vice-président de l’Association nationale des infirmièr(e)s puéricultrices(teurs) diplômé(e)s et des étudiants (ANPDE), Membre du comité d’orientation des Assises de la pédiatrie et de la santé de l’enfant.

Elisa Guises, infirmière puéricultrice, présidente de la Société de recherche des infirmières puéricultrices

Anne Dannenmuller, infirmière puéricultrice formatrice, présidente du Comité d’entente des écoles préparant aux métiers de l’enfance

Véronique Boulaire, infirmière puéricultrice, présidente du Syndicat national des puéricultrices diplômées d’Etat

Claire Royer de la Bastie, infirmière puéricultrice, présidente du Collège des infirmièr(e)s puéricultrices(teurs)

Katia Saby, présidente du Collectif Je suis infirmière puéricultrice

Estelle Ledon